7h57: Lacets bien serrés. Grosse doudoune bien fermée. Bonnet bien vissé sur la tête. Gants bien enfilés. Me voilà prêt au combat! Ma mission, que j’ai acceptée, consiste à réussir les derniers achats de Noël en milieu hostile – la foule des grands jours – et en un temps éclair. Nous sommes le 24 décembre, date à laquelle les magasins ont la bonne idée de généralement fermer plus tôt. Les vendeuses et vendeurs ont droit eux aussi à passer un réveillon tranquille.
8h00: mise en place au point zéro, au pied de mon immeuble. Le soleil fait encore la grasse matinée. Seules les lumières blafardes des réverbères donnent à la rue un semblant d’humanité. Pourtant, nombreuses sont déjà les silhouettes encapuchonnées et recroquevillées sur elles-mêmes qui bravent le froid piquant. Vont-elles travailler? Ou bien sont-elles, comme moi, condamnées à réussir leur mission à hauts-risques? Le sort en est jeté: peu m’importent les autres, je serai exceptionnellement hyper-égoïste sur le coup-là. Gare à celui (ou celle) qui se dressera sur mon chemin devant le rayon d’un objet convoité. Je n’aurai pas de pitié, l’un de nous deux sera de trop et ça ne sera pas moi.
8h01: En avant, vant! Mon plan d’action est détaillé. Millimétré. Rien n’est laissé au hasard.
Étape 1: foncer vers les Grandes Galeries pour trouver deux assiettes décoratives pour mes parents et un tapis style Orient – mais au tarif Occident - pour ma petite sœur.
Étape 2: traverser la moitié de la ville pour aller chez Ikerama et y prendre ces jolis vases hyper design pour ma grande sœur.
Étape 3: direction plein sud vers le marché de Noël pour quelques joujoux en bois sympas pour mes neveux et nièces.
Étape 4: une halte chez Parfums du Monde, pour ma chérie d’amour à moi que j’ai.
Et pour finir, sur le chemin du retour, un crochet à la supérette du coin pour le papier cadeau, le champagne, les bourriches d’huîtres – déjà réservées –, les toasts à griller et les biscuits apéro pour le réveillon.
Si tout se passe sans accroc, je serai de retour au point zéro pour 16h30, juste avant que le soleil ne se couche.
8h10: les Grandes Galeries sont déjà bondées. L’accès à l’escalier mécanique par la face Nord est très encombré. Du rouge sur la carte de Bison Futé. Mon GPS m’indique un itinéraire alternatif passant par le grand escalier via le rayon maroquinerie. Oh, le super petit portefeuille tout cuir à prix d’ami! Et si j’osais? Allez, j’ose… Et hop, ajouté à mon panier. Je file au 2è étage, aviser les deux assiettes que j’avais repérées quelques jours plus tôt. Ouf, elles sont encore là. Hop! Plus loin, sur le même niveau, les tapis. Zut, je ne trouve plus celui qui me plaisait bien pour ma sœur. Tant pis, celui-là, style pop-art, fera très bien l’affaire aussi. Il n'est pas trop cher. Juste un peu encombrant, même bien roulé. Heureusement que le parking se trouve au sous-sol.
8h59: Étape 1, OK. En route pour Ikerama… La sortie du parking est facile. Le retour dans la circulation l’est beaucoup plus. Heure de pointe du matin, chagrin! J’avance au pas. J’irais certainement plus vite en deux roues, mais pas avec le chargement que j’ai… et que je vais avoir!
9h55: Une heure pour faire 4,5 km! Heureusement que j’ai de la bonne musique avec moi grâce à mon lecteur CD – oui, ma voiture est un modèle très ancien, mais qui roule encore très bien! – Un monde de fous sur le parking d’Ikerama, je dois me garer super loin de la sortie. Ça commence mal! À l’intérieur, on dirait une fourmilière. Des files presque ininterrompues d’êtres humains, suivant la même direction, comme guidées par les phéromones marketing et les fragrances des bonnes affaires. Prendre le temps de s’arrêter pour regarder un article, c’est le risque assuré de se faire marcher sur les pieds ou bousculer sans ménagement et, très souvent, sans le moindre mot d’excuse. L’incivilité a ses raisons que la raison ignore dès qu’on entre dans le joyeux carnaval des achat de dernière minute. Mais pourquoi ne m’y suis-je pas pris plus tôt?
11h33: Je me retrouve enfin sur le parking extérieur. Il faut dire qu’entre l’entrée et les vases design, puis entre les vases design et la sortie, il y a eu tant d’autres opportunités de s’arrêter, regarder, chiner dans les bacs en vrac… À croire que tout est fait pour distraire l’homo consomatus de sa mission première. Le pire, c’est que, même en le sachant, ça marche! Pourquoi me suis-je arrêté pour regarder des articles qui ne figurent pas sur ma liste? Aurais-je des penchants masochistes? Il va falloir que je me surveille…
11h38: Retour dans les bouchons, dans les automobiles immobiles. Je vais me retrouver dans le marché de Noël au moment où tout le monde voudra y manger un morceau. Avec un peu de chance, les autres chalets seront moins fréquentés et je pourrai assez rapidement achever cette étape.
12h12: Mais où-est-ce que je vais me garer? Le parking proche de la grand-place affiche complet! Pourquoi tous ces gens ont-ils eu la même idée que moi au même moment? À moins que ça ne soit le contraire…
12h32: Ah ça y est! J’ai trouvé une place à force de tourner dans le quartier. Pile poil pour y caser mon break… J’ai 500 bons mètres à faire avant d’arriver au Marché de Noël. Ça me fera de l’exercice.
12h36: Me voilà sur place. Comme espéré, il y a la queue pour déguster (je dirai plutôt engloutir…) les gaufres, hot-dogs, pizzas et autres flammenküchen. Je n’ai rien avalé depuis ce matin, mais je ne vais pas me laisser tenter! Sinon, ma mission échouera lamentablement. Un coup d’œil général sur les stands d’objets fabriqués par les artisans locaux et je jette mon dévolu sur quelques personnages articulés et quelques éléments de décor qui feront la joie des enfants de mes sœurs, à peine en âge d’aller à l’école.
13h45: Les 500 mètres du retour me semblent interminables. J’ai l’impression que les sacs contenant mes achats pèsent trois tonnes! Et je ne suis qu’à la moitié de mon périple!
14h17: En passant par les petites rues transversales, je réussis à éviter les gros bouchons et arrive plus vite que je ne le pensais chez Parfum du Monde. Il restait une place dans le grand parking public à côté. Heureusement, je connais exactement la marque et le conditionnement du parfum préféré de ma chérie d’amour à moi que j’ai. Et vu l’ambiance de ruche dans le magasin, j’en suis fort heureux! Le plus dur est de trouver une vendeuse de libre pour m’acquitter au plus vite de cette partie de ma mission. Le mélange de tous les parfums, la chaleur étouffante qui règne dans ces lieux et la promiscuité de toutes ces abeilles qui espèrent devenir la reine d’un soir me donne le tournis. J’ai hâte de reprendre mon envol pour aller butiner ailleurs!
14h52: Maquillée comme un camion volé, mais avec un sourire à faire fondre la banquise, la vendeuse a glissé quelques échantillons «For men» dans le petit sac cadeau que j’ai pu enfin obtenir après une longue attente en caisse. Je n’ai qu’une seule envie: me retrouver dehors pour respirer le bon air frais de la rue, avec ses microparticules et ses vapeurs de gaz d’échappement…
15h08: Je pensais avoir fait le plus dur avant cette dernière étape dans la supérette du coin. Que nenni! Alors que l’heure de la fermeture – exceptionnellement à 16h00 – est déjà proche, c’est la cohue dans tous les rayons! C’est à qui passera devant l’autre, quitte à lui marcher dessus, pour être sûr de ne pas manquer le dernier paquet, la dernière bouteille, sur des présentoirs se vidant à vue d’œil.
Le rayon «vins et spiritueux» est véritablement pris d’assaut par les retardataires et les invités de dernière minute. Je dois presque jouer des coudes pour m’approcher du Graal. Je commence à transpirer dans ma tenue de combat, mais je suis rassuré en voyant qu’il reste deux exemplaires de l’objet de toutes mes convoitises! Et hop ! Ajoutés au panier…
Je bifurque vers les pains industriels, prends au passage deux boites de chocolats pralinés, deux paquets de saumon fumé, les premières chips, bretzels et cacahuètes qui me tombent sous la main et finis mon parcours par les toasts et les blinis. Du grand art. Un parcours presque sans faute, avec un dernier détour vers la poissonnerie pour récupérer ma bourriche d’huîtres.
15h59: Je dégouline dans ma chemise, sous mon pull et ma doudoune, au moment d’arriver en vue des caisses où, de nouveau, Dame Patience s’invite dans la file d’attente. Je suis épuisé par cette journée d’une intensité folle, mais j’ai la satisfaction du devoir accompli. Le réveillon est sauvé, il n’y aura que des heureux autour de la table. Même les huîtres apprécieront la soirée, j’en suis sûr!
16h42: La voiture chargée comme un junkie du quartier de la gare, les cheveux ébouriffés, la chemise trempée que j’ai hâte d’envoyer valdinguer dans le panier à linge sale et une envie irrépressible de prendre une bonne douche pour me décrasser de tout ce tumulte poisseux qui semble me coller à la peau… me voilà de retour au point zéro. Avec seulement 12 minutes de retard. Si ça c’est pas de la mission réussie!
17h07: Après trois aller-retour entre le parking de la résidence et l’appartement, voilà, tout est remonté, les cadeaux posés sur la grande table de la salle à manger, encore vierge du somptueux service du réveillon que nous allons préparer. Il ne reste plus qu’à faire les paquets cadeaux.
Et merde…
Ouvrez les autres cases!!
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